1. Immobilier
  2. Actualités immobilières à ST LAURENT DU VAR
  3. Dessiner la ville de demain, une interview du paysagiste Alfred Peter

Dessiner la ville de demain, une interview du paysagiste Alfred Peter

Publié le 08/12/2025
Le paysagiste Alfred Peter dévoile sa vision d'un cœur de ville plus vert, plus apaisé et tourné vers l'avenir.

INTERVIEW EXCLUSIVE – ALFRED PETER – « visionnaire » du Square Bènes

Architecte-paysagiste depuis plus de quarante ans, Alfred Peter signe la requalification du square Bènes à Saint-Laurent-du-Var. Référence en France comme à l’international, il revient sur la genèse des grands projets d’espace public, les leçons tirées de Barcelone, ses chantiers sur la Côte d’Azur et la philosophie – « d’écologie festive » – qui traverse son travail.

Vous êtes à l’origine de nombreuses transformations urbaines en France et ailleurs. Comment voyez-vous aujourd’hui l’évolution du paysage urbain français ?


Quand j’ai commencé dans les années 1980, on redécouvrait l’espace public. La ville inspirante, c’était Barcelone. Sous l’impulsion de quelques urbanistes catalans, elle a montré qu’on pouvait rénover une ville non pas seulement par les bâtiments, mais par tout ce qui se passe entre eux : rues, places, parkings, squares, continuités piétonnes. Ma génération de paysagistes allait à Barcelone comme en pèlerinage, pour comprendre comment le commun – l’espace partagé – peut changer la vie urbaine. En France, cette redécouverte a croisé le retour des transports publics. À Nice, la première ligne de tramway a transformé des axes entiers, en profondeur. À la même époque, j’ai piloté le réaménagement du bord de mer de Cagnes-sur-Mer : on est passé d’une sorte d’autoroute urbaine, qui séparait la ville de la Méditerranée, à un boulevard apaisé qui recolle les deux. Au départ, la vox populi était contre – comme souvent. On nous disait : « Vous supprimez des échangeurs dénivelés, vous êtes fous ! ». Puis, une fois livré, personne ne veut revenir en arrière. C’est toujours la même histoire : le passage à l’acte est la phase délicate. Après, tout le monde finit par dire : « Pourquoi cela n’a-t-il pas toujours été comme ça ? ».

Vous travaillez également beaucoup à l’international. En quoi ces expériences nourrissent-elles votre approche du territoire français ?
Nous intervenons beaucoup à l’étranger, notamment en Asie et en Afrique, dans des pays où nous n’avons pas les mêmes repères culturels ou climatiques. Cela nous oblige à réinterroger nos méthodes, à sortir de nos certitudes. Depuis dix ans, la question climatique est devenue centrale : inondations, chaleur, sécheresse. On ne conçoit plus seulement des espaces publics esthétiques, mais des écosystèmes urbains résilients. En Inde, nous avons participé au programme Smart City dès la première version, et aujourd’hui aux phases deux et trois. Là-bas, les questions sont très directes : comment créer de l’ombre, de la fraîcheur, de la mobilité douce, comment protéger l’eau. Ces expériences nous éclairent beaucoup sur notre propre évolution en France : la priorité n’est plus de faire joli, mais de concevoir des espaces capables de résister, d’accueillir, et de durer.

Venons-en au Square Bènes, à Saint-Laurent-du-Var. Quelle est votre ambition pour ce projet ?


Je l’ai souvent dit au maire : Saint-Laurent-du-Var ne doit plus être un lieu de passage obligé, mais une ville où on a envie de s’ancrer. Aujourd’hui, la ville subit des flux : ceux qui descendent de l’arrière-pays pour rejoindre Nice, ceux qui sont simplement en transit. Dans ces flux, l’âme de la commune s’est perdue. La première étape pour la retrouver, c’est de refabriquer un centre. Le square Bènes est l’épicentre historique et moderne à la fois, le lieu symbolique où tout converge. Le projet agrandit considérablement l’espace vert pour en faire un véritable jardin urbain, protégé de la circulation et entouré de façades actives – des rez-de-chaussée commerciaux – qui redonneront au lieu sa centralité. L’espace ne tourne plus autour des voitures : il s’adresse désormais aux piétons et au bâti. Nous avons tenu à conserver les usages existants auxquels les habitants sont attachés : le manège, la fontaine, les bancs à l’ombre. Mais ces éléments trouvent leur place dans un square trois fois plus grand. La fontaine actuelle est prolongée par un petit canal orienté vers la gare, un clin d’œil au jardins méditerranéens. Entre les façades et le jardin, un grand espace minéral permettra d’accueillir le marché, le marché de Noël et des événements culturels : c’est le théâtre de la vie locale.

Quels choix avez-vous faits pour les plantations et les ambiances du square ?


D’abord, on a conservé tout ce qui pouvait l’être, notamment les grands cèdres centenaires. Nous avons réalisé des analyses racinaires pour protéger leur système souterrain. Ensuite, nous avons cherché à composer une palette très diversifiée – c’est ce que j’appelle les plantations du XXIᵉ siècle. Il ne s’agit plus de planter pour faire joli, mais de créer de la diversité pour favoriser la résilience face aux maladies, à la sécheresse, aux canicules. Parmi les essences, on trouvera des jacarandas, des micocouliers et d’autres arbres méditerranéens. L’objectif est de constituer une canopée couvrant près de 90 % du square, capable de faire baisser la température de trois à quatre degrés. C’est un confort immédiat, presque palpable, pour les promeneurs.

Beaucoup d’habitants évoquent la question du stationnement, notamment autour de l’avenue du Général-de-Gaulle. Que leur répondez-vous ?

Je ne suis pas chargé de ce projet, donc je ne commenterai pas son contenu, mais je fais souvent le trajet entre la gare et le square Bènes à pied. Cela prend un quart d’heure, et aujourd’hui c’est un vrai parcours du combattant : peu de trottoirs, pas de piste cyclable, et peu d’ombre. L’enjeu du réaménagement est d’inventer un lien agréable et sûr entre la gare et le centre historique, deux polarités majeures de la commune.

Votre agence se définit comme un « laboratoire d’écologie festive ». Comment cette philosophie se traduit-elle concrètement à Saint-Laurent ?


Le mot “festif” ne signifie pas “faire la fête”, mais aborder la transition écologique avec envie, pas avec culpabilité. On n’emmènera personne dans la transformation si tout passe par la contrainte. Il faut que les gens aient envie de vivre dans la ville de demain. Cela passe par des lieux agréables, joyeux, vivants. Saint-Laurent-du-Var a été banalisée et fragmentée, il faut retrouver du lien et du sens. Le square Bènes doit redevenir un repère positif, un lieu intergénérationnel. Il est proche du Var, et je rêve que les bords du Var cessent d’être un méga-parking pour devenir une promenade magnifique, reliée à la Promenade des Anglais. On pourrait imaginer une continuité littorale d’Antibes à Nice, du château de Nice au Fort Carré d’Antibes – retrouver, en somme, la Côte d’Azur du début du XXᵉ siècle.

Comment la parole des habitants a-t-elle influencé votre travail ?


Le square existant, même modeste, était très fréquenté, notamment par des personnes âgées et des familles. Beaucoup de seniors y viennent parce que tout est proche, sans transport. Leur message était simple : ne nous chassez pas de ce lieu, mais donnez-nous plus de confort et plus d’ombre. Nous avons donc agrandi le jardin, multiplié les assises à l’ombre, conservé les usages auxquels ils tiennent, et créé de nouvelles zones de détente et de jeu. Le but est que ceux qui aiment ce square s’y sentent encore mieux demain.

Comment gérez-vous les résistances au changement, souvent fortes sur la Côte d’Azur ?


Elles ne sont pas propres au Sud. Partout, dès qu’on touche à la voiture, c’est passionnel. Ce qui est nouveau, ce sont les réseaux sociaux, où tout peut se dire, vrai ou faux, souvent anonymement. Les enquêtes publiques sont parfois dépassées par ce bruit ambiant. Mon rôle, c’est de livrer quelque chose d’irrésistible, pour que le résultat fasse oublier toutes les réticences. Le travail des élus est de tenir bon pendant la phase critique. À Cagnes-sur-Mer, personne ne voudrait revenir à l’état d’avant, alors qu’au départ, presque tout le monde était contre. Quand le projet est bon, il finit toujours par s’imposer.

Vous avez déclaré que le square vivra des siècles après nous. Que vouliez-vous dire par là ?


Avec le paysage, on est dans des temporalités longues. Les deux cèdres du square ont plus d’un siècle. Les arbres que nous planterons cet hiver seront là pour cent ans au moins. Peut-être que la fontaine ou le manège auront disparu mais les arbres eux resterons. Les plus beaux jardins de la Côte d’Azur créés au XIXᵉ siècle atteignent aujourd’hui leur pleine maturité. C’est notre responsabilité : penser demain et après-demain, travailler pour le temps long.

Vous dites ne pas tenir à ce que votre nom reste attaché au lieu, mais cela doit tout de même être une satisfaction ?


Le métier est dur – il faut affronter des résistances – mais il est aussi gratifiant. À Cagnes-sur-Mer, plus personne ne veut revoir l’état initial. Pour Saint-Laurent, nous sommes encore dans les miasmes du chantier, mais bientôt les habitants diront, je l’espère : “C’est évident”. Et cela suffira.

Suivez l’actualité immobilière et rejoignez-nous